Les enseignements de la crise du Covid-19 doivent nous conduire vers un monde plus solidaire, plus collaboratif, plus juste, plus écologique.
On l’espère tous, mais rien n’est moins sûr, car la nécessité de remettre le pays / le monde en ordre de marche risque de faire passer les bonnes résolutions au second plan. Il n’y a que notre ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui se risque à prédire, si nous n’y prenons garde, à contre-courant de la doxa du moment, « un monde comme avant, mais en pire ».
Si les projections de cette crise sont incertaines sur nos vies futures, sur le modèle de société que nous adopterons, sur le devenir de l’ordre mondial, nous avons un peu plus de certitudes sur les impacts à court et moyen terme que cette crise va avoir sur le fonctionnement de nos entreprises. Quelques pistes donc sur ce qui devrait changer, la crise servant de catalyseur à des mouvements déjà enclenchés ou de prise de conscience sur des évolutions nouvelles à mettre en place.
Vers de nouveaux modes de travail et la pérennisation du télétravail
Le télétravail s’était considérablement développé ces dernières années par le triple effets des aspirations des collaborateurs à un meilleur équilibre de vie (dont le fait de s’affranchir de passer 2 à 3 heures dans les transports est un des critères), de la conviction des entreprises que le télétravail fonctionne et apporte même une meilleure productivité, et un nouveau cadre réglementaire introduit par les ordonnances « Macron » applicables depuis 2017 qui assouplit la pratique du télétravail. Fin 2018, selon une enquête publiée par l’IFOP, un peu plus d’un quart des salariés des entreprises de plus de 10 salariés pratiquait le télétravail (5,2 Millions de personnes, et +700 000 en un an) mais seulement 9% de manière contractuelle.
Avec la crise du COVID 19, le télétravail s’est généralisé pour tous ceux dont l’activité peut se réaliser à distance et qui disposent des moyens matériels et logiciels pour le faire. Le grand enseignement de cette crise est que le télétravail fonctionne et bien au-delà du périmètre pour lequel on le destinait, finissant de convaincre les derniers sceptiques du côté employeur comme employé : faire fonctionner un service complet c’est possible ; assurer la poursuite d’un projet avec des équipes pluridisciplinaires de plusieurs dizaines de personnes, c’est possible ; suivre des formations à distance, cela fonctionne… La période de confinement a été également un formidable accélérateur pour la mise à disposition de matériels de travail à distance et la diffusion de logiciels collaboratifs (Microsoft et sa plateforme collaborative Teams se frotte les mains).
Tout est donc présent, l’infrastructure, le matériel, les logiciels, les convictions, l’état d’esprit, le maintien d’une nécessaire distanciation sociale dans les entreprises pendant encore de longs mois, pour que le télétravail s’impose à grande échelle. Certains envisagent même d’aller plus loin et de réduire, voire supprimer les surfaces de bureau fixe pour des surfaces de travail en commun. Il reste également à faire évoluer les méthodes de travail pour s’adapter à la généralisation du télétravail, et l’inscrire définitivement dans notre organisation : revoir les modalités du management pour tenir compte de l’éparpillement géographique des collaborateurs ; développer les initiatives pour concilier télétravail avec cohésion et lien social. Ce qui est naturel lorsque les personnes se retrouvent à déjeuner ou à la pause-café ne l’est plus en télétravail ; définir de nouvelles règles et méthodes de gestion de projet pour garantir le bon avancement et le travail collaboratif ; revoir l’organisation du travail car le télétravail pour être efficace doit être correctement planifié et structuré. Il faut par exemple assurer que les équipes se retrouvent tous ensemble à minima une fois par semaine pour l’exécution de travaux peu compatibles avec la distance.
Vers de nouvelles aspirations et un rôle revisité au sein des entreprises
La période de confinement a été pour de nombreuses personnes l’occasion de prendre conscience du besoin de solidarité au sein de nos sociétés et de s’engager concrètement sur des actions dans le domaine du social. La réserve civique a été prise d’assaut, les associations ne savent plus où donner de la tête pour gérer l’afflux de bonnes volontés. Il est fort probable que cette envie de contribuer utilement, de donner du sens à ce que l’on fait au quotidien se poursuivent au-delà de la crise que nous connaissons. Cet élan et ces aspirations, les entreprises peuvent s’en emparer et proposer un cadre de travail qui permette de les réaliser : consacrer quelques jours par mois à travailler pour des associations, à des projets de mécénats ; offrir l’opportunité à des seniors de transmettre leur expérience et leurs connaissances à des plus jeunes ou des personnes en difficulté ; monter des initiatives dans la durée qui sont fédératrices pour les collaborateurs. Une autre piste à explorer, plus compliquée à mettre en place, porte sur la possibilité de ‘partager’ les ressources entre partenaires, avec potentiellement un double gain : pour le collaborateur qui a l’opportunité de vivre de nouvelles expériences dans un contexte différent, de s’ouvrir vers l’extérieur ; pour les entreprises qui voient les liens entre les équipes se renforcer et les projets / process gagner en efficacité.
Les entreprises qui vont être actives à proposer des parcours ouverts sur l’extérieur et contribuant au bien commun auront certainement une attractivité bien supérieure aux autres, pour attirer et fidéliser les talents.
Vers une entreprise dématérialisée, digitalisée et automatisée
Les entreprises qui avaient entrepris de dématérialiser leur flux internes et externes et de digitaliser leurs processus sont naturellement celles qui ont eu le moins de difficultés à assurer la continuité des activités en période de confinement. Les tâches manuelles, les armoires de documents sont les ennemis du passage au télétravail. Il faut donc s’attendre à ce que les retardataires dans ce domaine s’activent et que la logique de dématérialisation soit poussée plus loin, même pour ceux qui pensaient avoir fait le nécessaire. Il va y avoir une véritable guerre ouverte à toutes les procédures manuelles et papier, une remise à plat général pour traquer tout ce qui peut être digitalisé.
Les solutions d’automatisation se développent également. Cela reste encore souvent au stade de l’expérimentation, mais de plus en plus de tâches administratives, à forte volumétrie, répétitives et à faible valeur ajoutée sont automatisées via des logiciels du marché dit de RPA (Robotic Process Automation). Il est à parier que ces technologies vont connaitre un coup d’accélérateur car ces process automatisés traversent beaucoup mieux les périodes de désorganisation généralisée que nous venons de vivre.
Vers une meilleure Gestion du risque
On peut très bien se dire que ce qui vient de se produire à l’échelle de la planète était tout bonnement inenvisageable, totalement exceptionnel et donc imprévisible. Mais comme l’imprévisible risque de se réaliser beaucoup plus fréquemment à l’avenir, les entreprises qui payent un lourd tribu à la crise doivent s’y préparer. Comment ?
On a pu constater dans le cas de la crise Covid 19 que la situation évoluait rapidement, quasiment au jour le jour, avec son lot d’incertitudes. A charge pour les entreprises de réagir vite et bien. Elles l’ont plutôt bien fait, parvenant du jour au lendemain à revoir totalement l’organisation, tout en maintenant l’activité. Toutefois, le leitmotiv du contrôle sur les événements va inciter ces entreprises à aller plus loin et prévoir des cellules de crise activables immédiatement et des procédures préétablies pour garantir la plus grande réactivité : qui est en charge de coordonner ces situations d’urgence ? quels sont les relais à activer dans tous les services indispensables à la continuité d’activité ? quels sont les moyens de communication à privilégier ? Comment insérer du collaboratif et de la concertation dans des décisions qui doivent prises très rapidement et qui peuvent être douloureuses ? Quelles sont les ressources à sécuriser (matières premières, composants, infrastructures réseau et logiciel, ressources de travail à distance) ? Une analyse des enseignements tirés de la présente crise sera un outil intéressant pour orienter ces travaux et mettre justement sous contrôle ce qui a moins bien marché et doit être optimisé.
On vient de le mentionner, mais les achats vont être mis à contribution pour sécuriser à l’avenir les sources d’approvisionnement, pour continuer de faire tourner les chaînes de production, pour protéger les salariés qui restent en première ligne. Lorsque ce sont des zones géographiques entières qui peuvent être paralysées, il faut penser diversification et alternatives. Chaque direction Achat des secteurs gérant des achats dits stratégiques, devront mener un audit par catégories d’achats (spend analysis), prédire le risque fournisseur à partir des historiques d’achats, des prévisions d’achats, des données géographiques et géopolitiques et des évaluations fournisseurs, et enfin définir les plans de remédiation au risque (fournisseurs de substitution, diversification des sources, priorité aux circuits courts…).
Enfin dès lors que l’on parle d’anticipation ou de prévision du risque, la Data et l’intelligence artificielle ne sont pas très loin. Le gisement de données internes et externes, accessibles aux entreprises, doit être étudié pour voir dans quelle mesure il peut servir pour identifier les zones de risques, pour construire des modèles prédictifs du risque, basés en autre sur l’analyse des signaux faibles. Ce sont des approches à construire de toute pièce, propre à chaque secteur d’activité, voire à chaque entreprise, si on veut que la précision soit au rendez-vous.
De nombreux chantiers se dressent donc face aux entreprises, et telle une étape montagneuse du tour de France, il faudra être prêt pour enchainer ces défis comme des cols, la première montée hors catégorie étant toutefois de favoriser la reprise et remettre l’activité en ordre de marche.
Chronique de Marc Sailly, Président d’Axys Consultants, pour le Journal du Net.