Suite de nos interviews liées à notre étude menée sur l’impact de l’intelligence artificielle sur la fonction RH. Carole Lailler, Dr en Sciences du Langage, consultant en IA et formateur freelance, nous apporte son témoignage.
Pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ?
Docteur en sciences du langage après avoir été une latiniste passionnée (de Tacite entre autres, j’ai toujours le sentiment de suivre un jeu de piste en faisant de la version, il en va de même lorsque j’expertise des corpus de données ou des résultats d’évaluation d’outils d’IA d’ailleurs…), j’ai un goût prononcé pour la morphosyntaxe, le lexique, les usages spontanés et plus généralement pour la langue française.
Tombée dans la marmite du traitement automatique de la parole à la faveur d’une incursion dans un labo d’informatique (j’y ai fait ma thèse et y suis restée quelques années), j’entretiens un rapport privilégié avec le conversationnel et les données. Forte d’un parcours professionnel aux multiples facettes, qui m’a conduite des établissements scolaires aux start-up en passant par le milieu universitaire, j’essaie d’œuvrer pour une meilleure vulgarisation des technologies de TALN (Traitement Automatique des Langues Naturelles).
J’accompagne aujourd’hui de nombreux projets d’IA dits conversationnels : traitement et analyses de données, gestion de systèmes de reconnaissance automatique de la parole et de chatbots, voire de traduction, tâches de NLP sont autant de défis j’accepte de relever avec un plaisir non dissimulé. Briques techno, défis techniques, analyses linguistiques et évaluations, le fil d’Ariane n’est pas constitué que d’un seul brin !
Dans votre entreprise/dans les entreprises avec lesquelles vous travaillez, avez-vous pu observer un déploiement de l’IA dans les outils de la DRH ? Si oui lesquels, sinon savez-vous pourquoi l’IA n’a pas été déployée ?
Non seulement les chatbots déployés au sein des RH permettent de faciliter gestion des RTT et autres prélèvements à la source, mais ils offrent également une jolie voie (avec ou sans voix d’ailleurs) pour l’onboarding des salariés. Il ne s’agit pas de remplacer l’interlocuteur (ou les interlocuteurs) RH mais de traiter rapidement les affaires courantes pour mieux s’intéresser au cœur de fonctionnement. Ainsi, l’analyse automatique des verbatims employés lors des entretiens annuels permet de faire la part des choses entre plus de frites à la cantine et des problèmes de sécurité sur site ou de management peu respectueux de l’individu et du groupe…
À votre avis, quels sont les principaux défis que les DRH doivent relever aujourd’hui ? (recrutement, fidélisation, faire monter les salariés en compétences, gérer les carrières…)
On entend beaucoup parler de QVT (au fait à quand un compagnon à 4 pattes assistant QVT ?) et, en dehors des clichés baby-foot, il me semble primordial d’écouter chacun dans ses demandes mais aussi ses remarques/propositions. Les outils de NLP peuvent faire entendre leur voix et ainsi remonter les thèmes chers à l’entreprise, les soucis d’organisation à temps ou les volontés de changement sans attendre le hiatus.
Pour les aider dans ces défis, pensez-vous que l’IA serait utile et quelles solutions d’IA leur conseilleriez-vous ?
Question rhétorique s’il en est ! Évidemment !
Sans aller jusqu’à imaginer les pires scenarii de films d’anticipation, les bots peuvent apporter des réponses efficaces à des questions pragmatiques du quotidien : il ne s’agit pas de psychanalyser le salarié, mais de l’aider à trouver les informations dont il est désireux de s’emparer : gestion des vacances, ticket-restau, déclarations à remplir, billets à réserver, demande de remboursement et process, les sujets sont nombreux et le bot peut éviter bien des crispations liées à l’administratif. De même, des compagnons plus travaillés et toujours en accord avec les experts para- et médicaux, peuvent permettre un quotidien moins anxiogène puisqu’une verbalisation a lieu et quelques conseils/suivis prodigués. La régularité amenée par ces outils trouve des échos bénéfiques.
De la même façon, des analyses de verbatim en passant par des calculs de distance lexicale et quelques efforts de classification thématique permettent de connaître les points d’irritation et de satisfaction en interne. En ajoutant des heuristiques adaptées, le service RH reste « au courant » sans avoir le sentiment d’être le dernier prévenu.
Enfin, la recherche d’infos pertinentes dans de grands volumes de données (côté juridique par exemple) avec un vocabulaire souvent spécifique de surcroit permet de gagner un temps précieux à investir dans la recherche de solutions.
L’idée n’est pas de remplacer mais d’adjuver !
De nombreux secteurs d’activité peinent à trouver des talents, selon-vous l’IA pourrait-elle les aider dans ces processus de recrutement ? (tri des CV, faire matcher offre et profil des candidats…)
Les travaux de matching ne sont pas forcément à bannir contrairement à ce qu’on entend. Toutefois il convient de les évaluer ! L’analyse des seuils, le soin et les vérifications apportés aux corpus d’apprentissage permettent également de regarder les biais en face et donc de choisir en conscience. De quelles compétences avons-nous besoin ? Quel wording émane de nos données ? Comparons nos certitudes aux résultats des outils et laissons-nous surprendre !
À votre avis, est-ce le rôle des DRH de veiller à ce que le déploiement de l’IA n’ait pas d’impact négatif sur les salariés ou est-ce plutôt une responsabilité de chaque chef de service ? Y a-t-il des points pour lesquels ils devraient être particulièrement attentifs ?
C’est la responsabilité de chacun : quelles sont mes données ? Est-ce que j’accepte de les partager ? Le DRH avec l’équipe Data, la DSI peut travailler de concert à une explication des outils et des étapes de leur déploiement. On le voit avec les notices de montage des meubles (suédois ou non), une lecture à plusieurs est toujours de bon aloi !
Selon vous quels pourraient être les freins au déploiement de l’IA ? (coût, culture d’entreprise, manque de formation…) et pensez-vous qu’un accompagnement des salariés à l’adoption de l’IA est indispensable ?
Le coût est bien sûr un élément à prendre en compte notamment dans la mesure où il convient de ne pas oublier que les outils génériques, GAFAM ou non, vont avoir besoin d’une adaptation pour couvrir le cas d’usage particulier de l’entreprise à la ligne éditoriale qui est sienne !
C’est surtout le coût de ce pas de côté qu’il faut mesurer sous peine d’avoir un outil qui reste sur l’étagère ! Impliquer chaque service, notamment les RH, dans la construction des modèles et de leurs apprentissages (typologie de réponses, documentation partagée…) est loin d’être une gageure : il ne s’agit pas de faire de chaque salarié un data-scientist mais d’instaurer un canal de communication pour que les outils apprennent le cœur de métier : son vocabulaire, ses fonctionnements et ses process. De même, mettre en place des retours d’expériences permet à chacun d’avoir son mot à dire et de concourir à la définition des usages.
De même, la dimension éco-responsable ne doit pas être oubliée : faisons simplement la différence entre apprentissage et usage : les nuits de calculs ont un coût certes mais ceux-ci effectués, l’outil est réellement utile…
Bref, laissons à l’industrie cinématographique le loisir de nous faire peur et discutons des outils, de nos attentes, des erreurs à pallier. La difficulté réside plus souvent dans l’écriture du cahier des charges que dans la réalisation des systèmes finalement…