Pour notre première table ronde de l’année, qui s’est tenue le 30 janvier 2020 à l’Hyatt Madeleine, nous avons ont choisi d’évoquer le thème de l’hyperpersonnalisation. Pourquoi ce choix de l’hyperpersonnalisation aidée par l’IA ? Comme le rappelaient Jean-Luc Marini et Julien Samarcq : « l’hyperpersonnalisation est une nécessité pour fidéliser les consommateurs et assurer la pérennité des marques. »
Entre autres arguments, Jean-Luc Marini rappelait que :
- 66 % des consommateurs français sont davantage susceptibles d’acheter auprès d’entreprises qui personnalisent l’expérience client
- 50 % des consommateurs souhaitent une attention spécifique en tant que bons clients
- La moitié encore est prête à utiliser des services de réapprovisionnement automatique
- En contrepartie, plus de 40 % craignent pour leur vie privée et s’inquiètent de l’interprétation par la technologie de leurs besoins
Cette schizophrénie du consommateur entre l’injonction d’une expérience positive et l’inquiétude liée à l’intrusion de la technologie dans leur vie privée n’a pas manqué d’être relevée. Pour autant l’hyperpersonnalisation est bien l’objectif des CMO, soucieux de maintenir leur part de marché et conquérir de nouveaux clients. Le même CMO perdu dans une jungle d’outils, face à la complexité technologique et sous la double pression d’un résultat rapide et de l’injonction sociale à être « data driven. » Comment faire pour résoudre ces équations pour offrir une expérience client positive, comment utiliser l’IA pour atteindre cet objectif ?
Le panel présent pour répondre ces questions : Adrien Coutarel, CIO de Target2Sell, Ludovic Vannier directeur commercial de Antvoice, Yann Gourvennec CEO de Visionnary Marketing, le conférencier et formateur Jean-Philippe Cunniet, Jean-Luc Marini directeur de notre Lab IA et Julien Samarcq directeur de notre BU digital marketing et commerce.
« Les CMO sont soumis à une véritable pression créée par une obligation de résultats rapides, par la complexité technologique » Yann Gourvennec
L’Hyperpersonnalisation c’est quoi ?
« L’hyper personnalisation se définit par une forme poussée de personnalisation du contenu des offres, mais également de l’expérience vécue par le client, qui se doit d’être unique, à l’échelle individuelle afin de proposer une solution sur mesure en temps réel »
« ce que veulent les clients c’est de la valeur, de la découverte, pas un message martelé à l’envi. » Jean-Philippe Cunniet
Selon Jean-Luc Marini, pour atteindre cet objectif au regard du volume de données à traiter, difficile de faire sans l’IA. D’autant plus que des solutions matures sont à disposition. Peut-être celles utilisées par les 39 % de CMO qui utilisent l’IA pour leur ciblage marketing et 28 % pour la recommandation.
Il n’en reste pas moins que plus de 60 % des CMO semblent démunis face à ces enjeux. Comme le rappelait Yann Gourvennec, « Les CMO sont soumis à une véritable pression créée par une obligation de résultats rapides, par la complexité technologique et enfin par la pression sociale pour “être dans la data”. A ce jour, 14 % des entreprise sont capables de réaliser une vue unique de leur client. » Pour une approche d’hyperpersonnalisation omnicanal la route va être longue.
D’autant plus rappelle Jean-Philippe Cunniet que, « ce que veulent les clients c’est de la valeur, de la découverte, pas un message martelé à l’envi. » A l’exemple de l’algorithme des plateformes musicales, « proposer des musiciens similaires à ceux que j’écoute n’a aucune valeur. A contrario un disquaire pourra me faire découvrir de nouvelles musiques, il tentera de m’ouvrir à de nouveaux horizons », complète Yann Gourvennec.
Autrement dit, l’usage mal pensé du couple data et IA mal crée une bulle de filtre par algorithme ou un formatage des produits proposés. Les exemples font florès sur les propositions de contenus des réseaux sociaux, mais aussi lors des propositions commerciales de certaines marques. « Si j’achète des pommes, me proposer d’en acheter plus n’a aucun sens. Pourquoi ne pas me proposer de découvrir des produits affinitaires ou différents, mais fondés sur mes goûts », poursuit Jean-Philippe Cunniet. A l’approche contre-productive de renforcement, l’intérêt de la personnalisation est d’ouvrir le consommateur à d’autres produits en affinités avec ses goûts. En un mot, susciter la curiosité pour apporter de la valeur.
« Face aux outils, le CMO doit absolument prendre du recul et avoir conscience que tout le monde est perdu » Yann Gourvennec
Quels outils pour l’hyperpersonnalisation : « tout le monde est perdu »
Avec quel outil ? Faire son choix dans les 7040 outils martech disponibles recensés par chiefMartec.com plonge fatalement le CMO dans un abîme de perplexité et de sidération. « Face aux outils, le CMO doit absolument prendre du recul et avoir conscience que tout le monde est perdu », tempère Yann Gourvennec qui partage cette anecdote d’un éditeur d’une DMP (data management plateform) qui, face aux aléas du marché, a fait évoluer son outil vers une CDP. Lors d’une interview du PDG pour expliquer ce qu’était une CDP, celui-ci n’en avait absolument aucune idée.
« N’oubliez pas de prendre en compte la désinstallation de la solution et le coût associé ! » Jean-Philippe Cunniet
La perplexité du PDG, largement partagée par la plus grande partie des CMO ne doit pas pour autant les empêcher de mettre en œuvre des solutions et d’initier des projets en « revenant aux fondamentaux » et surtout « penser d’abord à la qualité de la data et faire usage de bon sens. Sans nettoyage de la donnée, il ne peut rien se passer d’efficace », rappelle Yann Gourvennec. Un avis partagé par Julien Samarcq qui conseille de se concentrer sur la donnée 1st party et « progresser par étape pour délivrer une expérience client positive. »
Rappelons que 20 à 35 % de perte de CA sont dues à une mauvaise exploitation de la data selon PWC. Sans compter la donnée non fiable, le lot commun de 84 % des entreprises. La data quality commence bien par la consolidation et la capitalisation sur l’existant.
« la capacité de traitement d’images et de la voix d’une IA permet de proposer des scénarios d’interactions avec le consommateur en trouvant le bon moment et en fonction du contexte. » Jean-Luc Marini
Au moment du choix des outils ? Petit conseil de Jean-Philippe Cunniet, « N’oubliez pas de prendre en compte la désinstallation de la solution et le coût associé ! » Une condition sine qua non pour que l’entreprise reste agile et puisse évoluer sans friction d’un outil à l’autre.
En y allant pas à pas, en nettoyant ses données, la mise en œuvre de l’hyperpersonnalisation fonctionne affirme Jean-Luc Marini, « L’intelligence artificielle présente dans de nombreux outils est très efficace pour le prédictif. De même la capacité de traitement d’images et de la voix d’une IA permet de proposer des scénarios d’interactions avec le consommateur en trouvant le bon moment et en fonction du contexte. » Des propos confirmés par Adrien Coutarel pour qui, « Chaque IA répond à un besoin spécifique, l’enjeu est d’identifier l’IA adaptée à votre cas d’usage. »
Quelles données pour l’expérience utilisateur ?
Être dotée de la bonne IA n’exonère pas le CMO de capter la data pour comprendre le client. Une gageure alors que Google, rejoignant Apple et Firefox, renonce à utiliser les cookies dans ses navigateurs, avec à la clé une difficulté à collecter des données personnelles pour mieux cibler les consommateurs selon Ludovic Vannier.
Pour contourner cet abandon, qui impacte principalement les données 3rd party, l’alternative réside soit dans le permission marketing — inbound marketing —, et/ou, plus surprenant l’utilisation de l’article 20.6 du RGPD.
Pour Jean-Philippe Cunniet, « RGPD peut avoir un aspect positif. Mais dans un premier temps il faut bien expliquer à l’utilisateur ce que l’on va faire de ses données lors du recueil de consentement. Par ailleurs, l’article 20.6 autorise la portabilité des données d’un service vers un autre. Plutôt que de la portabilité concurrentielle, par exemple pour passer d’un opérateur téléphonique vers un autre, pourquoi ne pas imaginer une portabilité complémentaire. Je peux imaginer d’autoriser un partage de mes données collectées par Auchan avec Marmiton. Lorsque je fais mes courses, mes données pourront servir à Marmiton pour me proposer des recettes en fonction de mon panier. » Un échange de données créateur de valeur pour le consommateur et vertueux pour les opérateurs. Cette synergie entre opérateurs permet ainsi de passer d’une expérience client à une expérience client étendue. « Si Air France prévient un chauffeur Uber que son passager est en avance, il est dans son rôle et fournit une expérience étendue à son client. A l’inverse, si le client attend trop longtemps son chauffeur ou n’en trouve pas, son expérience globale sera négative, quelle que soit la qualité de la prestation d’Air France », illustre Jean-Philippe Cunniet.
« Jusqu’où connaître le consommateur ? »
De fait, l’hyperpersonnalisation consiste à connaître le consommateur, ses préférences, ses achats, le contexte dans lequel il se trouve, que fait-il, où se trouve-t-il, etc. A contrario de cette quête d’un profil exhaustif, chaque intervenant prêchait pour une quête d’informations pertinentes pour apporter de la valeur. Avec à la clé l’exemple des softcards de Netflix pour tester les goûts des spectateurs en fonction de leur degré d’appétence à la violence, aux scènes d’actions, d’amour, d’humour, etc. Fort de ces tests, Netflix est à même à la fois de proposer des divertissements adaptés, mais va plus loin en adaptant la colorimétrie pour correspondre aux goûts du spectateur. Et tout cela en temps réel grâce à l’IA.
A cet exemple extrême de personnalisation liée à la recommandation, d’autres entreprises réussissent à proposer des offres pertinentes à l’instar de SEB ou encore Yves Rocher. Contre-exemple, l’ouverture de la Fnac à des tiers lui a fait partiellement perdre le contrôle d’une partie des données issues de ces marketplace. La conséquence directe, vécue par des intervenants (ndr : et l’auteur), est celle d’une recommandation pour le moins fantaisiste par la plateforme d’e-commerce.
Quel que soit le volume, la leçon est claire : « Il faut contrôler la donnée in extenso ». Que ce soit pour proposer trois offres comme un produit d’assurance, ou des millions comme Amazon, la maîtrise de bout en bout de la donnée est indispensable à une recommandation ou ciblage pertinent.
« Pour obtenir des victoires rapides, le CMO peut commencer par du marketing prédictif dont le déploiement prend peu de temps pour des résultats immédiats. » Ludovic Vannier
Hyperpersonnalisation et IA : tests et explications, les facteurs clés de succès
En attendant la réalisation de ce vœu pieux, comment initier un projet d’hyperpersonnalisation ?
« Il faut progresser pas à pas pour comprendre progressivement les enjeux liés à l’hyperpersonnalisation. Pour obtenir des victoires rapides, le CMO peut commencer par du marketing prédictif dont le déploiement prend peu de temps pour des résultats immédiats. » Des propos confirmés par Ludovic dont l’outil est opérationnel après une première phase d’audit et préconise des campagnes de test de deux mois pour évaluer les premiers scénarios.
« Pensez aussi à expliquer ce que vous déployez. Tout doit être explicable et votre projet compris par les collaborateurs. Paradoxalement, le projet peut fonctionner, mais si l’entreprise ne le comprend pas il est voué à l’échec », rappelle Adrien Coutarel en évoquant la transformation numérique des entreprises et la nécessité de partager l’information et acculturer les collaborateurs.
Hyperpersonnalisation et transformation : un projet global
L’hyperpersonnalisation est un projet complexe. Mais il est aujourd’hui accompagné par des produits matures et efficients à certaines conditions, dont celle de la qualité de la donnée. Dans ce cadre, le CMO ne doit pas mener son projet seul, mais il doit embarquer toutes les parties prenantes de l’entreprise pour déployer les outils, désiloter et nettoyer et mettre en place les process. L’hyperpersonnalisation est un projet structurant pour l’entreprise et créateur de valeur. Mal mené, c’est exactement l’inverse qui se produira, une perte de CA et un désaveu du CMO.
Merci à Fabrice Froissard qui a réalisé pour nous cette belle analyse de l’événement.
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